L’œuvre d’art
comme arche
des apparences
Ronald Bonan
Une approche du
Monument à Rimbaud
de Jean Amado
Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : Je sais le soir,
L’aube exaltée ainsi qu’un peuple de colombes,
Et j’ai vu quelques fois ce que l’homme a cru voir !
Rimbaud, Le bateau ivre
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Jean AMADO, Monument à Rimbaud,
Béton de basalte (cérastone), 11, 50 m x 3,30 m x 5, 30 m.
Commande publique de la ville de Marseille et du Ministère de la
culture, 28 janvier 1989. Marseille, parc balnéaire du Prado.
Il y a à Marseille, au bord de l’eau, posée sur
une petite butte de terre, petite acropole,
une étrange sculpture de Jean Amado, peu
remarquée parce que peu visible (de la cor-
niche très fréquentée par les habitants et les
touristes qui se rendent vers le Sud là où la
ville s’ouvre sur le large, elle est presque cachée
par une haie pas très haute pourtant) et peu
signalée (un panneau qui porte l’inscription
Monument Arthur Rimbaud certes mais
très peu de mentions sur les guides touris-
tiques, les sites Web, les visites guidées, les
descriptions du patrimoine artistique de la
ville pourtant pas si riche), comme si elle
représentait un intérêt mineur, qu’elle était
presque autre chose qu’une œuvre d’art.
En effet on peut douter un instant de la nature de
l’objet, puisque la statue est régulièrement investie
(escaladée, colonisée, conquise,
habitée, équipée) par des enfants,
qui ont l’air de vivre là de passion-
nantes batailles navales, de partir
à l’abordage de bateaux imaginaires
et d’assiéger d’inexpugnables cita-
delles fortifiées… peut-être de subir
l’assaut à l’intérieur d’une d’elles.
On ne répertorie pas les toboggans
et les bacs à sable dans les guides
touristiques.
Les gardiens assermentés eux-
mêmes ne savent pas comment se
comporter à l’égard de cet objet :
doivent-ils siffler les irrespectueux
garnements qui entreprennent d’escalader le massif
de pierres rouges (imaginez que l’on escalade la
Victoire de Samothrace entre deux visites de galeries
au Louvre, pour