Finances & Développement Mars 2005
2
COURRIERDES LECTEURS
Amartya Sen — Une opinion divergente
J’ai lu avec grand intérêt le brillant article consacré à Amartya
Sen («La liberté, source de progrès», septembre 2004). En tant
qu’économiste indien originaire de Santiniketan, où le professeur
Sen a fait ses études, je m’intéresse beaucoup à ce qu’il dit et fait.
La fervente admiration que j’ai pour lui ne se réduit pas à une
adulation pure et simple. En effet, il y a toujours un revers de la
médaille — l’imperfection est inhérente à la nature humaine!
Aussi permettez-moi d’exprimer ici une opinion différente.
S’il est vrai que le professeur Sen a fait œuvre de pionnier dans
l’étude de la pauvreté et des famines, il n’a pas été le premier à
soutenir que c’est un système de protection sociale inefficace, et
non une diminution de la production alimentaire, qui est à l’ori-
gine des famines. Jawaharlal Nehru et Mahatma Gandhi avaient
déjà exprimé des idées analogues dans les années 20. La recette
du professeur Sen contre la famine, avec la démocratie, la liberté
et la liberté de la presse pour ingrédients, relève de l’utopie. Elle
ne tient pas compte du fait que, dans la plupart, voire la totalité
des pays en développement, la démocratie règne en théorie, et
non dans la pratique, que la liberté dégénère en licence et que la
presse tend à être partisane et dépourvue d’éthique, à quelques
exceptions près. Dans nombre de pays pauvres, la politique est le
conflit entre les intérêts à court terme de politiciens âpres au gain
et l’intérêt à long terme d’un développement paisible et durable.
Le professeur Sen cite en exemple les accomplissements so-
ciaux de l’État du Kerala, mais il ne donne guère de conseils face à
la confusion actuelle de ce modèle (chômage massif, jeunesse très
instruite mais incapable de trouver un emploi, taux de mortalité
élevés, consumérisme voué à l’échec, délaissement alarmant des
emplois agricoles, «syndrome hollandais» et élargissement du
fossé entre riches et pauvres). Par ailleurs, s’il souligne l