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Philippe n’était pas fou. La preuve, il avait par-
faitement conscience que, parmi ses comporte-
ments solitaires, certains pouvaient sans ambiguïté
le faire passer pour un fou aux yeux des gens nor-
maux. Et puis, comme il était le seul à le savoir et
que seul compte au bout du compte ce que l’on
sait, observe ou apprend de vous, cela revenait à
faire officiellement de lui un être normal. Et même,
se plaisait-il parfois à penser, bien mieux que nor-
mal puisque tout à fait maître de ses folies passa-
gères :
« Si je ne referme pas immédiatement quatre
fois cette porte, un jour je le paierai, c’est certain.
Je n’ai pas le choix, c’est un ordre. C’est ridicule, je
sais, c’est absurde mais c’est comme ça. C’est le
prix à payer pour ma tranquillité. J’ai l’habitude, je
sais ce que je fais, ça me regarde. »
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Les spécialistes estiment entre 2 et 4 % la pro-
portion de gens souffrant de troubles obsessionnels
compulsifs (TOC). Rien ni personne ne peut les
empêcher d’aller se laver les mains quarante fois
par jour, de déplier et replier pendant trois quarts
d’heure le même vêtement au moment de le ranger
dans leur armoire, de vérifier cinquante fois les
interrupteurs et le gaz avant de quitter leur domi-
cile. Ce sont des êtres asociaux, déplaisants, enfer-
més dans leurs manies, nocifs pour leur entourage,
difficiles à soigner. Ils inspirent une incompréhen-
sion sévère, voire le rejet et la peur. On assimile un
TOC à une pathologie de l’anxiété trouvant, bien
entendu, ses justifications dans un traumatisme
survenu chez le sujet au cours de sa petite enfance.
Philippe, pour sa part, considérait plutôt son
anomalie comme une superstition poussée, comme
un avatar de son exceptionnelle clairvoyance.
Comme, en quelque sorte, l’un de ces privilèges
inéquitables qu’on cherche à dissimuler à tout prix
de peur de se les voir retirer aussi vite qu’ils vous
ont été accordés un beau jour sans raison. Lui qui
n’allait jamais à l’église, lui qui n’était pa