Loading ...
Global Do...
News & Politics
6
0
Try Now
Log In
Pricing
Communiqu CONSEILS DES GOUVERNEURSASSEMBLÉE ANNUELLE 2000PRAGUE, RÉPUBLIQUE TCHÈQUE FONDS MONÉTAIRE INTERNATIONAL GROUPE DE LA BANQUE MONDIALE BANQUE INTERNATIONALE POUR LA RECONSTRUCTION ET LE DÉVELOPPEMENT SOCIÉTÉ FINANCIÈRE INTERNATIONALE ASSOCIATION INTERNATIONALE DE DÉVELOPPEMENT CENTRE INTERNATIONAL POUR LE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS RELATIFS AUX INVESTISSEMENTS AGENCE MULTILATÉRALE DE GARANTIE DES INVESTISSEMENTS 26–28 septem Discours prononcé par M. VACLAV HAVEL, Président de la RÉPUBLIQUE TCHÈQUE à l’Assemblée annuelle des Conseils des gouverneurs du Fonds monétaire international et du Groupe de la Banque mondiale J é de presse n° 1(F) bre 2000 Discours prononcé par M. Vaclav Havel, Président de la République Tchèque à l’Assemblée annuelle des Conseils des gouverneurs du Fonds monétaire international et du Groupe de la Banque mondiale Mesdames et Messieurs, J’ai le très grand plaisir de vous accueillir à Prague! Je souhaite la bienvenue aux participants officiels du FMI et de la BM, à tous les hommes d’affaires, banquiers, économistes, politologues, écologistes, penseurs, journalistes et à tous les hommes de bonne volonté réunis ici. C’est ici que l’on parlera, voire décidera d’une certaine manière de notre avenir commun. C’est un grand honneur pour mon pays et sa capitale d’accueillir ce grand rassemblement des milliers de personnes, parfois très influentes, venues de tous les horizons, à un moment que notre calendrier considère comme une année charnière de l’histoire. C’est un grand honneur, une grande joie, un grand défi et un grand enjeu. Je crois que la ville de Prague, qui reçoit pour la première fois dans son histoire - plus que millénaire - une rencontre d’envergure planétaire, constituera un environnement favorable et restera gravée tant dans la mémoire des participants que dans l’histoire de la coopération mondiale. Dans une perspective historique, Prague s’y prête d’ailleurs très bien : des siècles durant elle fut, grâce à entre autre à sa situation géographique au centre de l’Europe, un lieu de confrontation et de conflits, mais aussi un espace de rencontres créatives, basées sur le respect mutuel, un lieu d’influences et de coopération entre différentes cultures, nations et ethnies, entre diverses mouvances spirituelles et mouvements sociaux. Cette pluralité l’aida à modeler son visage. Il serait bon que nous sachions nous rappeler, après des décennies d’oppression, de privation des libertés, d’échines courbées et d’isolement imposé, cette ancienne tradition, tout en offrant cette ville au monde comme espace favorable à une discussion libre sur lui-même. La ville de Prague est dominée par la cathédrale des Saint Guy, Saint Venceslas et Saint Adalbert, elle-même surplombée par une tour gothique. Vous avez peut-être remarqué les échafaudages qui sanglent cette tour en ce moment. Ils sont là parce que cette tour fait l’objet – pour la première fois depuis son origine et un peu au dernier moment – d’une restauration complète. Les échafaudages occultent temporairement sa beauté. Mais cette occultation n’a d’autre objectif que de sauvegarder la beauté de cette tour pour l’avenir. Je vous invite à voir un certain parallèle entre cette tour et les bonnes dispositions qui, dans ce pays comme dans les autres pays post–communistes, ne sont peut–être pas apparentes parce qu’encore ceintes d’échafaudages. Ce pays a engagé une vaste restauration lui permettant de se retrouver, cette fois-ci en toute liberté, de recouvrer son identité et reprendre son visage qu’il s’efforce de préserver et de restaurer. Il serait formidable que ce parallèle puisse avoir une portée plus générale et que nous puissions espérer que certains phénomènes peu plaisants de ce monde recèlent des germes de la tentative de sauvegarder, de faire perpétuer et de développer de façon 2 créative les valeurs que nous proposent l’histoire de la nature, l’histoire de la vie et celle de l’humanité. --------------------------------------------- Mesdames et Messieurs, La pauvreté croissante des milliards de personnes et la question de savoir comment y faire front, comment lutter contre elle, constitue l’un des principaux sujets de débats concernant la situation du monde actuel et, ainsi, la vocation des institutions issues des accords de Bretton Woods. Des débats de ce genre recèlent, je le crains, un danger. A savoir, le danger de commencer, en notre sein, à considérer inconsciemment la pauvreté comme le malheur des uns, et la lutte contre elle comme le devoir des autres. Comme si le destin avait divisé l’humanité en deux : un groupe relativement restreint de personnes ou de pays qui se portent, d’une manière générale, très bien et un grand groupe de personnes ou de pays qui vont très mal. Or, les premiers – pour des raisons humanitaires et sécuritaires – seraient appelés à aider, financièrement et intellectuellement, les autres. Il n’y a qu’un pas entre cette vision du monde et l’erreur généralement répandue, selon laquelle les riches se portent mieux pour la seule raison qu’ils ont soit disant remporté une victoire sur le monde et ses mystères, qu’ils ont compris ses lois et en ont habilement profité, bref, qu’ils savent mieux se débrouiller, alors que les autres ne l’auraient pas compris ou ne sauraient pas s’y prendre. Et qu’il suffit, pour parfaire le monde, que les premiers transmettent une partie de leur habileté aux autres. Or, nous savons tous pertinemment qu’il n’en est rien. La pauvreté généralisée d’aujourd’hui est l’une des manifestations des plus flagrantes de notre civilisation contradictoire. Mais d’une façon ou d’une autre, nous participons tous à la formation de cette civilisation et nous sommes tous responsables de ses bons et mauvais côtés, et c’est à nous tous qu’il revient de faire face aux problèmes qu’elle génère. Nul d’entre nous ne saurait prétendre d’être le plus érudit, nul n’est exempt de toute critique, nulle voix ne devrait être sous-estimée d’avance. ---------------------------------------- Notre planète est ceinte d’une seule civilisation globale. Il est quasiment certain qu’il en est ainsi pour la première fois dans l’histoire du genre humain. Cette civilisation recèle toutefois une autre primauté : de par son mode de mouvement interne et ses manifestations externes elle serait, au fond, la première civilisation athée, sans égard aux 3 milliards de personnes qui, passivement ou activement, se réclament d’une religion ou d’une autre. Cela veut dire que les valeurs sur lesquelles elle repose ne se rattachent pas l’éternité, à l’infini ou à l’absolu. Or, bon nombre de décideurs importants cessent de tenir compte à la fois de ce qui viendra après nous, mais aussi des intérêts foncièrement généraux. Dans ce monde nanti d’une somme inimaginable de connaissances sur lui-même, où les informations non censurées, le capital, la propriété et la culture de toute sorte se propagent à une vitesse vertigineuse, dans ce monde dont on ne saurait dire qu’il est incapable d’évaluer les alternatives de son futur développement, il arrive à l’homme de se comporter souvent comme si tout était destiné à s’évanouir au terme de son existence sur cette Terre. L’homme épuise les ressources naturelles non renouvelables et porte atteinte au climat, l’homme s’aliène lui-même par une liquidation progressive des sociétés que son regard embrasse, et de tous les critères humains. Il tolère le culte du profit matériel comme valeur subjuguante, faisant souvent fléchir la volonté démocratique. Bien que le nombre d’habitants de cette Terre augmente rapidement, la création des richesses cesse de correspondre, de façon alarmante, à celle des valeurs réelles et véritables; voilà une mise en demeure que nous acceptons quasiment avec apathie. Notre civilisation est tout simplement tissée de paradoxes. D’un côté, elle ouvre devant nous des possibilités dont, récemment encore, on n’osait pas rêver, de l’autre elle fait preuve d’une piètre incapacité à modérer un abus ou à ce que ces possibilités ne deviennent le réceptacle d’un contenu souvent extrêmement dangereux . Notre civilisation est donc émaillée de maints problèmes sérieux. Les pressions égalisatrices qu’elle exerce et le fait d’être de plus en plus serrés engendrent le besoin de souligner à tout prix notre altérité qui, souvent, dégénère en fanatisme ethnique ou religieux. Émergent de nouveaux modes de criminalité organisée, sophistiqués, voire terroristes. La corruption fleurit. Le gouffre séparant les riches et les pauvres va s’approfondissant. Alors que certains meurent de faim, d’autres considèrent le gaspillage comme une habitude, voire un devoir social. Tous ces problèmes graves font aujourd’hui l’objet d’une attention particulière et différents États, institutions internationales et organisations gouvernementales ou non- gouvernementales se préoccupent de chercher des solutions. Je crains, cependant, que ces mesures n’arrivent que difficilement à renverser l’évolution en cours si le terreau idéologique où poussent de tels comportements, initiatives ou partenariats ne connaît pas lui-même de changement. Des voix se lèvent soulignant la nécessité de restructurer l’économie des pays en développement ou plus pauvres et le devoir des riches de les soutenir. Si cela se fait en douceur, sur la base d’une excellente connaissance d’un milieu concret et de ses intérêts 4 et besoins uniques, c’est certainement bien et utile. Mais j’estime qu’il nous revient évidemment de penser à une autre restructuration : celle du système de valeurs sur lequel repose notre civilisation actuelle. Et c’est justement un enjeu pour nous tous. J’irai jusqu’à affirmer que les nantis sont plus concernés que les autres. L’orientation de l’actuelle civilisation planétaire ou , si vous voulez, globale, a été définie par les Euro-américains des temps modernes, donc par ceux qui sont aujourd’hui au nombre des plus riches ou des plus développés. Pour cette raison déjà ils ne peuvent pas être affranchis de l’obligation de repenser de façon critique les mouvements qu’ils ont historiquement inspirés. Mesdames et Messieurs, Nous savons tous qu’il est possible d’inventer mille et un instrument de régulation ingénieuse protégeant le climat sur cette Terre, ses ressources non renouvelables, sa diversité biologique, la mise en valeur des ressources locales, l’identité culturelle des nations et des agglomérations à la mesure de l’homme, la libre concurrence et des rapports sociaux sains. Autant d’éléments pour restreindre la menace d ‘une perdition incontrôlée de notre civilisation. Nombreux sont les hommes et les institutions humaines qui tentent d’y parvenir. Mais il s’agit surtout d’encourager vivement un système de normes morales qui ne permettraient plus, à l’échelle globale, que certaines règles soient contournées et recontournées avec une ingéniosité supérieure à celle qui les a inventées, normes garantissant le poids de ces règles et encourageant leur respect naturel dans le climat social. Les actes qui menacent visiblement l’avenir du genre humain devraient être non seulement sanctionnés mais aussi perçus comme honteux. Nous aurons du mal à y parvenir si nous ne trouvons pas en notre sein le courage de remettre en cause, de refonder un ordre de valeurs que nous serions à même de partager et d’honorer, malgré notre diversité, et de rattacher ces valeurs à nouveau à quelque chose qui se situe au-delà de l’horizon d’un intérêt immédiat, d’une personne ou d’un groupe. Comment y parvenir sans un nouvel élan puissant de la spiritualité humaine? Comment l’encourager concrètement? Voilà les questions fondamentales que je me pose depuis des années, que nombreux d’entre vous se posent aussi et qu’on ne saurait omettre d’aborder, selon moi, dans vos débats pragois. ---------------------------------------- 5 Mesdames et Messieurs, Je crois fermement au succès de vos entretiens, à votre identité de vues sur d’importants programmes, stratégies et réformes. Il va sans dire que je crois encore en autre chose : savoir que vous dirigerez vos rencontres sur le fond d’un vaste débat, ouvert et amical, sur le monde d’aujourd’hui, sur ses problèmes, sur les causes profondes de ceux-ci et sur les façons de les résoudre. Je crois que personne ayant à coeur le destin du genre humain de cette planète ne devraient en être exclu, et peu importe s’il se trompe vingt fois. Nous devons tous vivre sur cette Terre, les uns à côté des autres, sans égard à notre conviction; nous sommes tous menacés par notre manque de perspicacité et personne ne saurait échapper au sort commun. Dans cet état de choses, il ne nous reste, j’en suis sûr, qu’une possibilité : chercher en notre sein et autour de nous des sources nouvelles de responsabilité de ce monde, des sources nouvelles de compréhension, de solidarité et d’humilité devant le miracle de l’Être. Il nous faut chercher la capacité de nous astreindre dans l’intérêt public et de faire du bien même là où cela ne se voit pas et où il n’y a peut-être même personne pour applaudir. ---------------------------------------- Mesdames et Messieurs, Avant de clore mon intervention, qu’il me soit permis de revenir la cathédrale que j’ai évoquée au début. Les premiers à en tirer un profit chiffrable, ce sont les hôteliers pragois dans l’ère du renouvellement de l’économie de marché en République tchèque. Et c’est encore plus vrais en ce moment. Pourquoi le bâtisseur de la cathédrale s’était appliqué à ériger quelque chose d’aussi cher et d’aussi peu utile, selon les critères actuels? Il y a une explication possible: il fut un temps où le gain matériel immédiat ne représentait pas la valeur suprême dans la vie de l’homme et que l’homme savait qu’il y avait des mystères incompréhensibles devant lesquels il devait s’incliner avec étonnement et humilité. L’étonnement se manifestait par l’édification de ces monuments, dont les tours s’élancent vers le ciel. Vers le ciel pour être vues de loin et pour montrer tout un chacun ce dont il est bon de se réclamer. Vers le ciel, à travers les frontières des âges. Vers le ciel, vers l’infini. Cet infini qui, par le biais de sa silencieuse existence, éliminerait le droit de l’homme de traiter ce monde comme une source illimitée de profit immédiat, tout en l’invitant à être solidaire de tous ceux qui vivent sous sa mystérieuse voûte céleste. Je réitère mes vœux de succès dans vos débats et vous remercie de votre attention.